Lysalys n’est pas une maman comme les autres. Depuis bientôt deux ans, cette jeune femme de 34 ans instruit elle-même ses deux filles (Mi, 11 ans et Lou, 8 ans) à la maison. Elle raconte cette "formidable aventure" sur son blog. Et comme je la suis avec curiosité depuis ses débuts, j’ai eu envie de vous faire partager son expérience de l’école à la maison (ou IEF, instruction en famille).
- Qu'est-ce qui t'a incité à vouloir te lancer dans ce projet ?
J’avais déja envisagé cette éventualité lorsque ma grande a commencé l'école. Elle avait beaucoup de mal à s'y habituer. Mais j'étais une jeune maman et j'ai plus ou moins cru ceux qui me disaient que cela venait de moi. Pourtant je me suis dit que si un jour il y avait un vrai problème, je la déscolariserais. Et le vrai problème est apparu pour mes deux enfants !
Tout d'abord, la grande qui chaque jour revenait de l'école en étant mal dans ses baskets puis les résultats qui ont commencé à être moins bons. Dans le même temps, la petite apprenait un peu trop vite.
Le vrai déclic a été la souffrance de la petite.
Lorsqu'une enfant pleure sans cesse parce qu'elle n'en peut plus de s'ennuyer à l'école et qu’elle n’y trouve pas sa place, cela ne laisse pas de marbre...
Nous avons donc décidé assez vite de les déscolariser. Mais nous pensions qu'il valait mieux être tous sûrs de nous et attendre quelques semaines. Nous avions tant de questions et d'inquiétudes dont celles du manque d’amis…
- Comment ont réagi tes filles, ton mari, ton entourage familial et amical ?
Mon mari était prêt à se lancer dans l'aventure même s'il se posait beaucoup de questions. Il avait surtout peur que je n'ai plus de temps pour moi ! Il n'a par contre jamais craint que les filles n'aient pas d'amis.
L'aînée a tout de suite été partante, la cadette a eu peur de ne pas voir assez d'enfants. Mais pouvoir apprendre plus a été pour elle un soulagement et l'a finalement emporté après une année de souffrance immense à l'école.
Ma famille a plutôt bien réagi. Les très rares qui savaient combien la cadette allait mal ont applaudi à notre décision. D'autres ont respecté notre choix et ont posé des questions curieuses mais plutôt bien intentionnées. Quelques uns n'ont pas forcément compris mais ont accepté.
De côté des amis, nous en avons perdu certains (très peu tout de même) qui n'ont pas compris, surtout peut-être parce qu'un enfant s'est mis à demander à être déscolariser...
- Quels sont les avantages que tes filles et toi-même retirez de cette aventure ?
Les filles apprennent à leur rythme. Si elles sont fatiguées, nous pouvons reporter un apprentissage, partir en vacances lorsque nous le souhaitons ou simplement faire une visite ou une rencontre ou même encore regarder une émission qui nous plait !
Elles peuvent apprendre de plusieurs façons et rien ne peut limiter leurs expériences. Nous pouvons avoir recours à des supports scolaires, ludiques, mélanger différentes approches (Montessori, nous inspirer un peu de Freinet, de la méthode en maths des frères Lyons, etc), faire de nombreuses visites, expériences, etc. Si l’une a une difficulté, il est également plus facile de la voir et de l'aider. Elles ont aussi plus de temps et d'occasions pour vivre leurs passions.
Elles n'ont plus à subir certaines moqueries, les bousculades, espèrer que les adultes voient ce qui se passe. Elles savent que désormais elles ont le droit de dire "non", "stop" et qu'elles seront vraiment écoutées.
A titre personnel, j'apprends également tous les jours ! Sur des sujets que je n'avais pas pu explorer. J'apprends également sur mes filles et sur moi. Avant cette aventure, j'étais une maman proche de ses enfants, mais je me suis aperçue qu'il y avait tout une partie d'elles que j'ignorais. Aujourd'hui, nous avons davantage un rapport d'égale à égale (même si je reste leur maman). Elles savent maintenant qu'elles peuvent compter sur moi en toute circonstance.
Il y a tant de points positifs à vivre la nonsco que je suis persuadée que j'en oublie !
Le plus gros inconvénient concerne les envies de carrière que je pourrais avoir. Mais j'ai des amies qui instruisent et travaillent, il faut seulement que j'invente ma solution. Et puis les filles grandissent. Elles seront donc de plus en plus autonomes, ce qui me laissera plus de temps pour faire par exemple le choix de retravailler. De toute façon à l'heure actuelle, cela ne me manque pas : je ne vois pas les jours passer !
Par contre parfois je me dis "et si mon mari n'était plus là " ou "s'il perdait son emploi" ? Et là oui, j'ai quelques sueurs froides. Alors je réfléchis à la façon dont je pourrais m'organiser et puis je me raisonne en songeant que de toute façon nul n'est assuré de rien. Qui dit qu'une famille avec deux revenus les aura encore demain ? Ma retraite ? Je ne crois guère que nous en aurons vraiment... Alors nous préparons notre avenir et finalement nous vivons au jour le jour et pas si mal que ça puisque nous parvenons à proposer supports et sorties aux enfants.
Nos choix sont différents sans doute, ne serait-ce que parce que par exemple je ne m'achète quasiment pas de vêtements et que je préfère faire une sortie avec mes filles. Nous traquons également les bonnes idées pour dépenser moins.
Sinon, un peu de fatigue, des questions parfois sur le fait d'être une suffisament bonne maman, parfois un peu de solitude lors de certaines difficultés. Mais j'ai pu constater que ce n'était pas le lot des mamans non scolarisantes, seulement celui des mamans attentives
- Te sens-tu parfois… marginalisée ?
Non. Je fais partie d'une troupe théâtrale, je commence à être connue dans le village, on sait également que mes enfants ne vont pas à l'école. Je n'essaie pas d'imposer mes idées, ça aide sans doute à faire accepter notre choix. Il est bien sûr que lorsque j'annonce d'emblée que je suis végétarienne et que mes filles ne vont pas à l'école, il y a un petit moment de surprise sur les visages Mais bon je dis tout ça avec un grand sourire et sans revendication. Je réponds aux questions sauf lorsque les personnes sont visiblement un peu trop fermées aux choix différents. Aujourd'hui, je peux même dire que mon carnet d'adresses est plus rempli qu'avant la déscolorisation !
- L’IEF impose de se faire contrôler. Comment cela se passe-t-il ?
Les contrôles pèsent beaucoup sur les familles instruites en famille. Nous tâchons généralement de vivre de longs mois sans y penser et pour notre part, ils se sont bien passés jusqu'ici. Mais ils sont toujours un moment incertain en fonction de la personne qui les exécutera et parfois ce sont pratiquement de véritables examens qui sont imposés à des enfants même très jeunes !
Parfois également il est peu tenu compte des choix éducatifs des parents et on nous demande quelquefois d'être plus performants que le système scolaire ! De plus le code de l'éducation vient d'être modifié et il est à craindre qu'avec ce changement les contrôles soient plus durs encore.
En ce qui nous concerne et même si les contrôles restent une source de stress et le deviendront sans doute davantage avec ce code exigeant, nous n'envisageons pas le retour à l'école car l'instruction en famille nous apporte vraiment beaucoup.
- Comment arrives-tu à jongler entre tes "statuts" de mère, d'enseignante et de femme dans un "environnement de travail et familial" unique ?
Et bien je ne jongle pas : je mélange tout !
Je ne me considère pas vraiment comme leur enseignante, davantage comme un guide.
J'ai aussi fait certains choix d'organisation. Par exemple, 4 matins par semaine, ma maison est fermée au reste du monde. Je suis entièrement disponible pour les enfants même si parfois j'en profite pour préparer des supports, repasser un peu. L'après-midi est moins structurée. Parfois je suis à côté occupée à ranger ou aller sur le net pour chercher de nouvelles idées ou encore pour écrire sur mon blog, être dispo pour une association dans laquelle je me suis engagée ou bien nous apprenons ensemble, nous nous promenons, etc.
Je suis leur maman à chaque instant de ma vie. Cela ne signifie pas que j'abandonne immédiatement tout ce que je fais. Mais cela signifie que mes oreilles et mes yeux restent ouverts en cas de vrai besoin.
Le soir et le week-end, je suis davantage avec mon mari, mais je raconte également des histoires ou je sors pour aller à mon club théâtral. C’est aussi l'occasion de moments partagés ou d'un plus grand calme pour les uns et les autres.
- Quel bilan tires-tu de cette aventure presque 2 ans après son début ?
En fait, je me demande : "pourquoi ne me suis-je pas lancée plus tôt ?".
Les premiers mois ont été un véritable bonheur, un soulagement même s'il a fallu trouver quelques marques. Et puis à ma grande surprise il y a eu une période où cela n'allait plus, les enfants avaient besoin d'évacuer tout ce qu'elles avaient vécu, école et même d'autres évènements ! Cela n'a pas été une période facile, ni pour elles ni pour moi car je me suis même demandée si finalement ce n'était pas moi qui m'y prenais de travers !
Aujourd'hui elles sont heureuses de faire l'instruction en famille et n'ont pas envie de repartir sur les sentiers de l'école. Pourtant tout n'est pas règler, je dirai que les filles ont posé les valises mais qu'elles ont encore besoin de retrouver confiance en elles.
Et puis il n'est pas toujours facile pour elles de se dire qu'elles ont le droit d'apprendre plus ou autrement. Lorsqu'elles rencontrent régulièrement de nouveaux enfants scolarisés, elles se sentent parfois coupables d'avoir le droit de s'instruire en famille.
Dans ces moments là , je regrette que l'instruction en famille ne soit pas mieux connue car après tout il s'agit simplement d'une façon d'apprendre différente : elles ne vont pas à l'école du village, elles vont à l'école de leur vie.
(encore merci Lysalys pour cette longue mais très intéressante interview)
Et vous ? Seriez-vous partante pour ce genre d'aventure ?