Je butinais ainsi de table en table, prévenante, avenante, 100 % dans mon rôle, lorsque j’entends tout à coup un homme m’interpeller. "Mademoiselle… Mademoiselle… Votre chemisier est ouvert derrière… Vous permettez que je vous... boutonne ?". Loin d’être discret, ce quadragénaire avait lancé sa proposition bien fort, prenant à témoin ses voisins. Aussitôt dit, il se lève et s’approche de moi. "Alors ? Vous permettez ?" insiste-t-il goguenard en tendant ses bras et en jetant un regard complice à ses collègues. J’ai piqué un fard, je l’ai remercié en souriant et je me suis laissée "boutonner" devant un public ravi de ce show improvisé.

Longtemps, je me suis maudis de n’avoir pas réagi, de n’avoir pas lancé LA répartie, celle qui aurait cloué ce goujat sur place. Et puis, je m’en suis prise à mon chemisier. Après tout, c'était sa faute. Quelle idée de l’avoir mis ce jour-là ! J’aurais mieux fait de garder ma veste. Tant pis pour la chaleur. Mais peut-être qu’après tout, étais-je trop mijorée, voire coincée. J'aurais dû prendre le parti d’en rire, d'en plaisanter. Ah, ah, ah, trop marrant ce type ! Et quel humour !... Mais non. Finalement, je n’ai jamais trouvé ce "mec lourd" très drôle.

Si je vous raconte cette anecdote aujourd'hui, c'est que je sais que nous sommes nombreuses à être confrontées à ce genre de situation.

Que ce soit dans la rue, dans les transports en commun ou dans le monde professionnel, nous sommes souvent la cible de jugements et de remarques déplacés et gênants lancés par une catégorie d’hommes se croyant sympathiques et drôles, et qui en fait ne cherchent qu’à gêner et humilier pour asseoir leur domination sociale et sexuelle. Et bien, je viens de découvrir tout récemment que ce comportement porte un nom précis. C'est "le paternalisme lubrique".*

Attention, je ne parle pas là du gentil dragueur, du type sympa qui cherche une ouverture, du collègue qui fait une remarque charmante sur notre robe (et pas sur notre décolleté !). Ni du harceleur sexuel ou moral dont j’ai déjà parlé ici. Mais de cet homme que vous ne reverrez peut-être ou sans doute jamais, qui vous coince et vous déstabilise par des propos choquants ou des gestes anormalement familiers, qui vous prend pour sa chose, vous met en position d’infériorité, face auquel vous avez forcément envie de dire "NON".

Côté travail, les principales victimes de ces "mecs lourds" sont les hôtesses d’accueil, les serveuses, les vendeuses, les infirmières, les journalistes, les comédiennes, les standardistes, les caissières, les ouvreuses… Celles qui non pas le choix, juste celui d'encaisser pour ne pas perdre leur boulot.

Alors que faire si vous vous retrouvez face à un de ces "paternalistes lubriques" ? (décidément, j'adore cette expression !). Garder le silence, lancer un regard qui tue ou les ignorer, propose Natacha Henry. Il parait que cela les déstabilise. De toute façon, nous ne sommes pas vraiment faites pour leur en coller une, n'est-ce pas ?